Place de la cryothérapie corps entier (CCE) dans la prise en charge du patient lombalgique chronique
La cryothérapie est un terme qui fut employé pour la première fois en 1908 par A.W Pusey pour décrire une technique de traitement par le froid des lésions cutanées. La première forme de cryothérapie a été appliquée de façon locale puis au corps entier. Le japonais Yamagaushi a mis au point la première chambre cryogénique à refroidissement à l’azote en 1978. Puis l’allemand Fricke a inventé une nouvelle forme de refroidissement cryogénique dans laquelle le patient n’est plus en contact direct avec l’azote mais avec un air sec extrêmement froid. Dès lors les outils se sont perfectionnés d’année en année.
Definition
Une définition de la CCE a été proposée lors de la conférence de consensus qui s’est tenue en février 2006 en Autriche : « La CCE est une thérapie physique passive, de courte durée, à action systémique, avec des températures généralement efficaces au niveau thérapeutique de - 100°C à -150°C. Son action découle du principe « excitation-réaction-adaptation». Les applications de la cryothérapie sur le corps entier sont utilisées aussi bien à des fins thérapeutiques que pour optimiser les performances. L’application a lieu en chambre cryogénique, sous surveillance » (Déclaration de consensus relative à la CCE, 2006)
Aujourd’hui deux techniques de CCE émergent : la première se présente sous la forme d’une chambre dans laquelle le patient pénètre entièrement, c’est la véritable CCE, tandis que la seconde se présente sous la forme d’un cylindre appelé cryosauna laissant émerger la tête du patient. Elle se nomme cryothérapie corps partiel mais elle est souvent associée, à tort, à la CCE.
Indications, contre-indications et précautions de la CCE
En France, les premiers à s’être intéressés à cette technique sont les instituts professionnels sportifs. L’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP) et le Centre Européen de Rééducation réservé aux Sportifs (CERS) de Capbreton sont les premiers à avoir intégrés des dispositifs de CCE dans leur établissement. Cette technique, dont les données empiriques exposent l’intérêt dans la prise en charge de la récupération musculaire et la performance sportive, leur a permis d’étoffer l’arsenal thérapeutique dont ils disposent pour prendre en charge la rééducation des sportifs de haut niveau. Depuis, les centres de cryothérapie se sont multipliés en France.
Aujourd’hui, le champ clinique de la rhumatologie s’intéresse aussi à cette méthode de traitement pour son effet anti-inflammatoire systémique recherché dans le cadre de la PEC de patients atteints de pathologies rhumatismales inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde ou la spondylarthrite ankylosante (Adam 2014a)(Adam 2014b).
Les dernières recommandations concernant l’application de la CCE ont été rédigées lors de la conférence de consensus de 2006. Nous exposons ici les éléments concernant la lombalgie chronique.
Tous s’accordent à dire que la CCE :
Soulage la douleur voire la fait disparaitre,
Bloque l’inflammation,
Améliore les fonctions articulaires,
Régule le niveau d’activité centrale,
Sstimule les performances psychophysiques
Falorise le bien-être.
En connaissance de ses effets, la CCE est proposée en cas «d’état douloureux chronique».
Effets physiologiques de la CCE:
La CCE consiste à refroidir rapidement l’ensemble du corps de manière à provoquer un choc thermique. Celui-ci est recherché dans le but de déclencher des réponses physiologiques qui se mettent en place lors de l’exposition à des températures extrêmement basses (ici – 110°C).
En effet, le froid provoque un stress sur l’organisme qui réagit en entraînant une cascade de réactions physiologiques. L’initiation de la réaction se fait au niveau des thermorécepteurs qui sont disséminés sur toute la surface cutanée et qui réagissent aux stimuli. En réponse à cela, une stimulation sympathique se met en place selon le schèma suivant :
Ø Stimulations des thermorécepteurs périphériques,
Ø Intégration hypothalamique,
Ø Réponse sympathique,
Ø Sécrétion hormonale.
Cependant, il convient de répondre à un questionnement que cette brève introduction soulève : Pour quelle raison de tels mécanismes se mettent-ils en place lors d’une stimulation par le froid ? Ceci vient du fait que l’être humain est un homéotherme (Barbiche 2013). C’est-à-dire qu’il est capable de maintenir sa température corporelle interne constante grâce à l’activation de réactions automatiques et inconscientes mises en place en réponse aux variations des températures externes. C’est ce que l’on nomme la thermorégulation.
Cette régulation est régie par deux mécanismes : la thermogénèse, qui consiste en un gain de chaleur et la thermolyse, qui consiste en une perte de chaleur. La thermogénèse est un mécanisme complexe qui implique un ensemble de régulation. Elle varie durant la journée suivant les différentes phases qui se succèdent (phase de repos, phase d’activité, période postprandiale...).
Lors du réchauffement interne, l’automatisation de la régulation de la température provoquera une thermolyse pour maintenir l’équilibre. De même, si la température externe diminue, les mécanismes de la thermogénèse s’activeront pour éviter que la température interne chute. Ce sont ces derniers mécanismes qui sont sollicités lors des séances de CCE. Ils sont quatre : le frisson musculaire, la thermogénèse, la vasoconstriction et l’horripilation.
Suite à la stimulation des thermorécepteurs cutanés, les neurones afférents acheminent l’information nerveuse jusqu’au système nerveux central et plus précisément, au niveau de l’hypothalamus où elle est traitée. En réponse à cette stimulation, l’hypothalamus va, à son tour, sécréter et libérer un ensemble d’hormones appelées catécholamines, permettant d’entraîner les quatre mécanismes cités. Ce sont ces catécholamines libérées par l’hypothalamus et la médullosurrénale (adrénaline, noradrénaline et dopamine) qui vont avoir des effets bénéfiques sur le corps en stimulant et créant une réaction en chaîne qui aboutit, par la suite, à la mise en place des réponses anti-inflammatoire et antalgique, recherchées durant les séances de CCE.
Par ailleurs, l’effet antalgique provoqué par la CCE est rendu possible par un autre mécanisme. En effet, le froid intense est capable de ralentir la conduction des influx nerveux notamment au niveau des fibres A-delta et C qui transmettent les messages nociceptifs. Lorsque la température cutanée descend en dessous de 13,6°C, ces fibres perdent leur capacité à transmettre l’influx nerveux responsable de l’interprétation de la douleur (Mesure et al. 2014). Ceci a donc pour effet de provoquer une analgésie locale en ralentissant la transmission nerveuse.
D’après une autre étude (Smolander et al. 2004), la CCE permettraient au phénomène antalgique de persister dans la mesure où le cerveau est stimulé par l’ensemble des thermorécepteurs cutanés de l’organisme. De fait, cette intense stimulation désorganiserait les centres d’intégration de la douleur, ce qui aurait pour effet d’en faire diminuer l’intensité.
De plus, la neutralisation des médiateurs de l’inflammation par leurs antagonistes anti- inflammatoires (Bouzigon et al. 2016) participerait à l’antalgie. Trois autres effets cliniques provoqués par la CCE sont à rappeler : un effet anti-hémorragique due à l’accélération de l’homéostase, anti-infectieux et protecteur de transplant (Barbiche 2013).
Intérêts de la CCE dans la prise en charge du patient lombalgique chronique
Certains thérapeutes utilisent des dispositifs de cryothérapie locale (poche de glace, spray réfrigérant, cryothérapie à air...) pour leurs effets antalgiques. Cependant ces outils se limitent aux zones qu’ils traitent et leurs effets s’estompent très vite après l’arrêt du traitement. Au contraire, l’intérêt de la CCE est double : l’antalgie qu’elle procure ne se limite pas à une zone précise, elle est systémique et son effet perdure dans le temps suite à la désorganisation des centres d’intégration de la douleur (Mesure et al. 2014)(Smolander et al. 2004).
Les douleurs ressenties chez le patient Lombalgie chronique sont variables et généralement diffuses. Lorsque le médecin demande au patient de lui indiquer la localisation de sa douleur, il décrit une zone, rarement un point précis. L’intérêt de la CCE est qu’elle procure un effet antalgique global qui permet d’agir sur toute l’étendue de la zone douloureuse.
D’autres études mentionnent les vertus antidépressives de la CCE. Or l’anxiété et les syndromes dépressifs sont souvent constatés chez le patient lombalgique chronique et ceux-ci contribuent à limiter le patient dans ses activités de la vie quotidienne et entretiennent sa kinésiophobie. La recherche d’une baisse du niveau d’anxiété a donc un intérêt.
Dans ce cadre, Szczepanska-Gieracha et al. (2014) ont démontré au cours d’un ECR, que le bien-être général, la qualité de vie et l'humeur étaient améliorés chez les patients atteints de syndromes douloureux rachidiens ou de pathologies des articulations périphériques ayant reçu dix séances de CCE de trois minutes à -110°C.
Par ailleurs, la CCE est décrite comme un traitement passif. Elle sollicite néanmoins la volonté du patient car cette technique toute particulière ne s’aborde pas comme les autres. Rester dévêtu durant trois minutes par une température de -110°C demande une certaine volonté.Ceci permet de proposer quelque chose de nouveau, de diversifier la prise en charge du patient lombalgique chronique en échec thérapeutique. Elle les encourage à aller de l’avant, à s’investir activement dans leur prise en charge par la sollicitation de mécanismes comportementaux leur permettant de se projeter et d’envisager leur guérison.
Deux études se sont penchés sur l’intérêt de la CCE dans le traitement des troubles du sommeil. Les auteurs ont démontré ses effets positifs sur le traitement de la latence du sommeil (durée avant l’endormisssement), sur l’efficacité du sommeil et la perception de la fatigue par rapport au groupe témoin (Louis et al. 2015) (Bouzigon et al. 2016). Un meilleur sommeil permet un meilleur contrôle émotionnel et comportemental, bénéfique pour toute prise en charge, ce qui est recherché chez le patient lombalgique.
Rappelons que la lombalgie est une pathologie multidimensionnelle dite « bio-psycho-sociale ». En considération des effets présentés dans la littérature, la CCE permettrait d’agir sur deux composantes qui entrent dans les mécanismes physiopathologiques de la lombalgie : la douleur et l’anxiété. Or, les connaissances actuelles nous apprennent que ces deux composantes s’influencent l’une et l’autre. Agir sur le système opïoide, qui joue un rôle dans la cognition (émotions, réponse au stress et à la douleur) par l’intermédiaire de la CCE permettrait donc de diminuer la perception de la douleur chez le patient lombalgique (Bouzigon et al. 2016).
« La dépression peut être due à un dysfonctionnement neurobiologique avec une dysrégulation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Les systèmes peptidiques opioïdes du cerveau sont connus pour jouer un rôle important dans la motivation, l'émotion, le comportement d'attachement, la réponse au stress et la douleur, et le contrôle de l'apport alimentaire. Il semble que les effets positifs de la CCE sur la douleur sont dus à l'activation du système opioïde endogène qui influence le « système de contrôle de la douleur » (Bouzygon et al. 2016).
Comments